Al’heure où les clients, en B2C comme en B2B, sont de plus en plus exigeants sur le respect de la promesse client en livraison, il est capital pour les entreprises d’avoir un regard objectif et fiable sur leurs performances et celles de leurs transporteurs— un prérequis indispensable pour adopter des actions correctrices. Cela est loin d’être le cas aujourd’hui et, dans ce contexte, l’intelligence artificielle (IA) a un rôle à jouer.
La pertinence d’une évaluation, au sens large, repose sur plusieurs prérequis, qui ont tous à voir avec la notion d’information. Premièrement, les informations qui alimentent l’évaluation doivent être complètes : chaque zone d’ombre ouvre la voie à la spéculation et à la subjectivité. Et si le flair peut avoir d’incontestables vertus, il est, à l’heure du règne de la donnée, plus sage de limiter son influence au strict minimum. On imagine difficilement, de nos jours, une entreprise sérieuse évaluer l’efficacité de ses fournisseurs, de ses salariés ou de ses prestataires à la lumière du mouvement des astres.
Le diable est dans les détails
Bien sûr, l’exhaustivité absolue n’existe pas : dans le transport de marchandises en particulier, l’information manque parfois, tout simplement. Si les progrès de l’IoT et de la télématique permettront peut-être, à plus ou moins long terme, de générer des données supplémentaires, il faut en l’état accepter que toutes les informations pertinentes ne soient pas systématiquement disponibles.
En revanche, il est capital de disposer de toutes les informations existantes, et celles-ci ne remontent pas toujours aux entreprises. En effet, la plupart des outils utilisés pour générer des rapports de performance ne permettent pas d’intégrer toutes les données clés issues de sources et de logiciels variés (TMS, EDI, ERP, outils de tracking…) ni d’atteindre le niveau de détail nécessaire pour évaluer au mieux la performance d’un prestataire. Par exemple, un taux de performance satisfaisant à l’échelle d’un pays, d’une région ou même d’un département sur une période d’un an, d’un mois voire d’une semaine, peut largement masquer des disparités majeures.
Typiquement, un transporteur peut, pour diverses raisons, sous-performer certains jours, à certaines heures, pour un client A à partir d’un site B. Cette faille « microscopique », sans incidence visible sur la performance globale, pourrait pourtant entraîner la perte dudit client, par effet de lassitude. Problématique en B2B, en particulier si le client est considéré comme un “VIP” pour l’entreprise.
En B2C, ce problème d’échelle prend une toute autre ampleur : les flux sont éclatés, fragmentés et l’analyse de la performance nécessite de sortir des grands KPIs macroscopiques pour aller chercher l’aiguille dans la botte de foin. Il y a, derrière ces défaillances masquées, des anomalies opérationnelles discrètes mais profondes, difficiles à identifier et dont les causes racines sont encore plus délicates à déterminer — de nombreux facteurs étant susceptibles d’être impliqués.
Une nécessaire objectivité
Deuxièmement, les informations doivent être objectives. L’objectivité, en l’occurrence, tient à peu de choses : l’absence de conflit d’intérêts. Régulièrement, ce sont les transporteurs qui s’occupent de construire et transmettre les reportings de leur propre performance à leurs clients. On est donc dans une situation où l’évalué est en charge de produire les éléments factuels qui seront utilisés par les évaluateurs.
Attention, il ne s’agit pas de dire que du fait de cette situation, les reportings fournis par les transporteurs sont trafiqués. Ce n’est du reste pas le sujet. Un conflit d’intérêt ne se matérialise pas seulement au moment où l’on en tire sciemment profit. C’est un état, une situation, qui ouvre la voie au doute du fait, précisément, de la confrontation d’intérêts divergents dans un contexte nécessitant une objectivité totale.
En l’occurrence, la grande majorité des transporteurs sont, dans cette situation, d’une parfaite probité et fournissent à leurs clients des informations neutres. Mais, de fait, les rapports de performance sont purement déclaratifs.
Cette dimension déclarative apparaît particulièrement en cas de défaillance. Se pose alors la question de la responsabilité de cette défaillance : celle-ci relève-t-elle du transporteur qui, pour une raison ou une autre, a commis un impair ? Est-ce l’expéditeur qui, par exemple, n’avait pas préparé son expédition dans les temps ? Est-ce la faute du destinataire qui n’était pas en mesure de réceptionner la marchandise au moment convenu ? Ou bien, s’agit-il d’un aléa, qu’il soit lié au climat, au trafic ou encore à des mouvements sociaux ?
Du fait du caractère purement déclaratif de la remontée d’informations, un transporteur se trouve dans la position où il peut invoquer une responsabilité tierce en cas de défaillance, sans que son client ne soit en mesure de vérifier l’information. C’est particulièrement le cas quand aucune explication valide ne transparaît dans les données. Or, toute défaillance inexpliquée établissant de fait une responsabilité du transporteur, on comprend que l’intérêt de ce dernier soit de l’attribuer à un événement imprévisible. A l’inverse, lorsqu’un aléa a réellement empêché un prestataire de mener à bien sa tâche, ou qu’il n’est pas responsable de la défaillance, il n’est pas en mesure de le démontrer de façon incontestable à son client.
Alors, comment produire des éléments objectifs pour évaluer la performance de ses prestataires ? D’une part, il semble important que des tiers de confiance collectent et traitent les données brutes pour produire des reportings non seulement fiables, mais également exhaustifs, ce qui demande un savoir-faire certain dans la mise en forme de données hétérogènes. Mais il faut surtout être en mesure d’identifier les responsabilités. Certaines seront plus ou moins facilement déduites des données qui circulent traditionnellement dans les systèmes des transporteurs ou des chargeurs, par exemple les codes événements — encore que ceux-ci, différant d’un prestataire à l’autre, requièrent un important travail d’homogénéisation. D’autres en revanche nécessitent des efforts supplémentaires.
Neutraliser les facteurs externes : un prérequis indispensable
Les aléas invoqués, en particulier, doivent pouvoir être vérifiés : on l’a vu, ils sont largement utilisés pour justifier des défaillances en l’état inexpliquées. Or, dans l’immense majorité des cas, les informations permettant de vérifier la véracité d’un aléa existent et sont accessibles à tous. La météo, l’état du trafic et même la localisation précise d’un mouvement social à un instant T, relèvent de ce qu’on appelle l’open data.
En revanche, librement accessible ne veut pas dire facilement exploitable. Il est inenvisageable de faire la vérification manuellement : ce serait extrêmement chronophage, surtout lorsque l’on parle de centaines, voire de milliers, d’expéditions. Pour autant, automatiser la chose n’est pas aisé : les données pertinentes sont le plus souvent déstructurées et nécessitent un travail de mise en forme. Puis, il faut, automatiquement toujours, croiser ces informations avec le lieu et l’heure de la prestation incriminée.
L’IA comme réponse ?
Dans ce contexte, l’algorithmie voire l’intelligence artificielle ont clairement leur rôle à jouer. Certains algorithmes de text mining par exemple permettent de rendre intelligibles un certain nombre d’open datas brutes, inexploitables en l’état. Typiquement, les articles de la presse régionale, les retours des réseaux sociaux, peuvent permettre de localiser un barrage routier, l’heure de sa mise en place et celle de sa dispersion. Reste ensuite à croiser l’information ainsi collectée avec le détail de l’expédition pour vérifier la possibilité de l’aléa invoqué par un transporteur.
Mais surtout, seule l’intelligence artificielle est en mesure de réaliser les calculs nécessaires à la détermination précise des causes racines d’une défaillance. Car les facteurs susceptibles d’expliquer ces anomalies sont nombreux et multiples : site de départ et d’arrivée, département, heure de chargement, jour de la semaine. Pour plusieurs milliers d’expéditions, cela représenterait des millions de combinaisons à tester afin d’identifier des récurrences dans ces expéditions lorsqu’elles sont en anomalie — c’est du reste pour ça qu’en l’état, les professionnels ne parviennent pas à mettre le doigt sur les problèmes opérationnels. Il s’agit de distinguer les défaillances « uniques », qui s’expliquent par une erreur isolée ou une circonstance spécifique, des problèmes réguliers relevant de dérèglements opérationnels de fond.
Ce sont ces schémas récurrents qui permettront d’identifier les facteurs en cause et, donc, de suggérer des plans d’action adéquats en fonction de règles métiers prédéfinies. Dans une optique davantage prédictive, une IA serait même en mesure de détecter des expéditions à risque en amont et d’alerter les équipes.
Cela ouvrirait enfin la voie à la collaboration : en disposant conjointement des bons constats, chargeurs et transporteurs se retrouveraient en position de travailler ensemble, sereinement, à résoudre les problèmes identifiés.
Une entreprise ainsi équipée serait pourrait mesurer avec exactitude sa performance ou celle de ses prestataires : ses revues de performance s’appuieraient donc sur des éléments incontestables, elle ne perdrait plus de temps à entretenir des échanges tendus sur des prestations litigieuses et ses équipes pourraient consacrer leur temps à prendre les bonnes décisions. Elle aurait ainsi toutes les clés en main pour garantir d’une qualité de service optimale sur tous ses flux, assurant ainsi un respect de la promesse client sans commune mesure avec celui de ses concurrents.