Le transport est devenu avec l’essor du e-commerce et la montée des exigences des clients l’objet de toutes les attentions. Cette prise de conscience salutaire ne doit cependant pas faire oublier le retard accumulé, tant technologique qu’opérationnel. Les nouveaux entrants, souvent des pure players dont le modèle repose sur un transport parfaitement maîtrisé, n’attendent pas.
Une tribune de Laurent Recors, CEO de Sightness, publiée initialement sur LSA.
A l’heure du tracking en temps réel des colis et des stratégies omnicanales, de nombreuses entreprises, de toute taille, manquent de visibilité quant au respect de leur promesse client en livraison. Un état de fait surprenant, et même inquiétant. En effet, les attentes des clients sur le sujet ont considérablement évolué. C’est vrai, bien sûr, pour l’e-commerce B2C. Pour 72% des consommateurs, les modalités de livraison sont le premier critère déterminant l’achat. Et 40% déclarent ne plus souhaiter acheter auprès d’un e-commerçant à la suite d’une mauvaise expérience en livraison.
Des pénalités financières majeures, un risque stratégique immense
Et ceux qui espéraient que ces exigences restent confinées au B2C peuvent déjà en être pour leurs frais. En B2B, les clients font eux-aussi de moins en moins de concessions, non seulement sur la qualité de l’offre proposée mais aussi sur la fiabilité du service promis. Les pratiques d’achats tendent à converger. Parallèlement, les pénalités financières grimpent, en particulier dans la GMS ou l’automotive, où elles peuvent atteindre 50% du budget transport d’un fournisseur les mauvais mois…
Par ailleurs, il ne faut pas se leurrer : les géants de l’e-commerce ont le B2B dans leur viseur depuis longtemps. On tend à oublier que l’e-commerce B to B représentera deux fois son équivalent B2C d’ici 2020 aux Etats-Unis. Et qu’en France, l’e-commerce devrait représenter un quart des ventes B to B à la même date !
Ainsi, Amazon a lancé il y a un peu plus d’un an sa plateforme B2B, Amazon Business, en France. Pour conquérir le segment de la vente aux entreprises, le spécialiste e-commerce du bricolage et du jardinage, Manomano, vient de lever 110 millions d’euros. Tous ces acteurs innovants se caractérisent par la parfaite adéquation de leur offre de livraison aux attentes du marché et par leur perfectionnisme quant à son exécution.
La menace de débordement, la fameuse disruption, existe donc partout. Pour les industriels comme pour les distributeurs, en B2B comme en B2C, il faut aligner l’organisation transport sur les performances de ces entrants. Or, pour optimiser, pour transformer, il faut mesurer, identifier ce qui ne fonctionne pas et en trouver la cause. C’est là que le bât blesse .
Un décalage entre la réalité du transport et les attentes des clients
Historiquement, le transport est une boîte noire. Si, dans une entreprise, les flux sont bien souvent mesurés au millimètre dans les usines ou les entrepôts, dès qu’un produit en sort, c’est le grand flou.
Au mieux, dans le cas du colis par exemple, le suivi existe, mais dans des formats hétérogènes car définis par les transporteurs, qui ne travaillent pas tous avec les mêmes outils. Au pire, dans le cas de bien des trajets courte et moyenne distance, qui représentent en France la majorité des flux, il n’y a aucune donnée. Le premier challenge est donc bel et bien d’obtenir l’information, de façon centralisée et homogène !
Une fois la donnée collectée et traitée, il faut pouvoir la restituer afin d’obtenir des supports qui permettent à la fois d’évaluer la performance, de détecter les anomalies et de les expliquer. Trop souvent, les chargeurs s’appuient sur le reporting de leurs prestataires — quand il existe. Ces derniers sont donc évalués sur la base d’informations qu’ils fournissent eux-mêmes… Trop souvent également, ces reporting prennent la forme d’immenses tableaux Excel. Leur analyse demande des jours de travail, et le niveau de détail possible ne permet pas d’identifier précisément la cause racine d’un problème ou sa récurrence.
Le prisme problématique de la réclamation
La situation engendrée par ces problèmes de collecte et d’analyse des données n’arrange personne. Les transporteurs n’ont pas d’éléments concrets pour se dédouaner en cas de problèmes dont ils ne sont pas responsables. Les chargeurs, eux, mesurent leur respect de la promesse client à l’aune du nombre de réclamations reçues et du coût des pénalités financières infligées — sans d’ailleurs être en mesure de les contester.
Or, évaluer le respect de sa promesse client par le seul prisme de la réclamation n’a aucun sens : toute défaillance n’en provoque pas nécessairement. Seuls les soucis les plus sérieux en font généralement l’objet. Ainsi, très régulièrement, des clients mécontents de la performance de leurs fournisseurs décident de s’approvisionner ailleurs sans avoir jamais émis la moindre récrimination formelle.
Il est urgent de mener une réflexion de fond sur le pilotage du respect de la promesse client. En effet, il faut agir avant qu’il ne soit trop tard. Trop tard lorsqu’un client, de guerre lasse, quitte votre navire. Trop tard lorsqu’un acteur disruptif, mieux armé, prend une trop grande longueur d’avance sur votre entreprise.